Tomber malade pendant ses vacances : la Cour de cassation s'aligne sur le droit européen !
- SASD

- 17 sept.
- 6 min de lecture

Une décision historique vient de tomber qui aligne enfin le droit français avec le droit européen… au profit des salariés.
C’est une décision que l’on attendait depuis longtemps. Depuis plus de vingt-cinq ans, la Cour de cassation fermait les yeux sur une injustice flagrante : lorsqu’un salarié tombait malade pendant ses congés payés, il en perdait le bénéfice, sans pouvoir reporter les jours non pris. L’argument était implacable dans sa froideur : dès lors que l’employeur avait autorisé les congés, l’obligation légale était réputée remplie, peu importe que le salarié ait effectivement pu se reposer ou non.
Cette position rigide, répétée depuis un arrêt de 1996, faisait fi de la jurisprudence européenne et de la finalité même du congé payé : permettre au travailleur de récupérer physiquement et mentalement, de profiter de moments de détente, et non de passer ses vacances alité avec de la fièvre et une boîte de Doliprane pour toute distraction.
Mais le 10 septembre 2025, la Cour de cassation a enfin franchi le Rubicon. Dans un arrêt solennel et très attendu (Cass. Soc., 10 sept. 2025, n° 23-22.732), elle revient sur sa propre position et s’aligne avec force sur le droit de l’Union européenne, affirmant que :
« Le salarié en arrêt de travail pour maladie survenu durant ses congés payés a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé coïncidant avec la période d'arrêt. »
Autrement dit : être malade, ce n’est pas se reposer. Et priver un salarié de ses congés au motif qu’ils étaient “techniquement posés” alors qu’il était cloué au lit relève d’une fiction juridique aussi toxique qu’injuste.
En reconnaissant ce droit au report des congés, la Cour consacre un principe fondamental : le droit au repos effectif. Un droit qui ne peut être vidé de sa substance par l’arbitraire d’un calendrier ou par la mauvaise foi d’un employeur.
Il aura fallu plus de deux décennies de résistance, d’interprétations abusives et de violations ouvertes du droit européen pour qu’enfin, le droit français cesse d’être un angle mort de la protection des salariés.
Cette décision est bien plus qu’un revirement jurisprudentiel. C’est une victoire symbolique, un jalon essentiel dans le combat pour un droit du travail réellement protecteur, au service de la dignité, de la santé et de la justice sociale.
Le SASD vous décortique cette décision...
Les faits
Notre protagoniste du jour n’est pas une salariée ordinaire : elle exerce comme médecin du travail depuis 1990 au sein d'une association de Santé au Travail. Fidèle à son poste pendant plus de 25 ans, elle travaille à temps partiel — les mardis toute la journée, les jeudis le matin — selon un avenant conclu en 2002. Celui-ci prévoit, entre autres, que les vacations effectuées en dehors de son planning sont récupérées pendant les congés scolaires, parfois au-delà de ses droits à congés payés.
En décembre 2016, elle fait valoir ses droits à la retraite et quitte ses fonctions. Quelques mois plus tard, le 9 mai 2017, elle saisit la juridiction prud’homale. Son objectif : faire valoir des droits liés à l’exécution de son contrat de travail, notamment sur le paiement d’heures complémentaires et sur les conditions de décompte de ses congés.
Mais au lieu de répondre sur le fond à ces demandes, l’employeur riposte avec une stratégie radicale : il contre-attaque en demandant que la salariée lui restitue la somme faramineuse de 39.427,70 €, estimant qu’elle aurait indûment perçu des indemnités de congés payés sur plusieurs années. L’association affirme qu’elle aurait bénéficié de plusieurs dizaines de jours de congés au-delà de son droit, notamment entre 2013 et 2016.
Sauf que le décompte de l’employeur pose problème.
De nombreux jours retirés du solde de congés de la salariée coïncident avec des périodes où elle était en arrêt maladie, arrêts dûment notifiés à l’employeur. Malgré cela, ces jours ont été comptabilisés comme si elle avait effectivement pu profiter de ses vacances. Un amalgame que la salariée conteste, à juste titre.
Cette affaire cristallise deux enjeux majeurs du droit du travail :
Le respect des droits à congés réels et effectifs, et non fictifs ou symboliques.
La transparence dans le décompte des droits en cas de temps partiel, de récupération et de congés divers (RTT, CET, congés d’ancienneté…).
Mais surtout, elle sert de terrain d’épreuve à une vieille jurisprudence obsolète, incapable de faire la distinction entre présence physique et repos effectif, entre droits formels et réalité vécue.
La suite ? Un affrontement judiciaire sur fond de normes européennes… et un revirement majeur de la Cour de cassation.
Rappel de la procédure
Saisie du litige, la Cour d’appel de Paris rend sa décision le 15 mars 2023. Elle suit en partie l’argumentaire de l’employeur : la salariée aurait bien bénéficié de plus de congés que son solde autorisé, ce qui justifierait une restitution d’une partie des sommes perçues.
Elle valide donc l’idée d’un trop-perçu, mais avec une nuance cruciale : les magistrats de la cour d’appel déduisent du calcul les jours de congé qui coïncidaient avec des arrêts maladie dûment notifiés. Autrement dit, ces jours n’auraient jamais dû être décomptés comme des congés, puisqu’ils n’ont pas permis à la salariée de se reposer.
Une lecture qui, sans le dire, reconnaît déjà partiellement l’influence du droit européen, qui impose depuis des années le report des congés en cas d’arrêt maladie.
Mais l’employeur, lui, refuse cette évolution du droit. Il forme un pourvoi en cassation et persiste : selon lui, dès lors que les congés avaient été validés par anticipation, ils devaient être considérés comme “consommés”, point final – même si la salariée était clouée au lit ou en incapacité totale de profiter de ce repos.
Ce raisonnement, froidement comptable, relève d’une logique purement administrative, totalement déconnectée de la réalité humaine du travail. Il revient à dire : “Peu importe que tu sois malade, tu as posé ton congé, il est perdu.”
C’est précisément ce cynisme juridique que la chambre sociale de la Cour de cassation va être amenée à trancher. Et ce qu’elle va faire, c’est tout simplement renverser la table.
La décision de la Cour de cassation
Le 10 septembre 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation opère un revirement jurisprudentiel majeur. Après près de 30 ans de résistance, elle enterre enfin sa jurisprudence obsolète du 4 décembre 1996 (n° 93-44.907), selon laquelle un salarié en arrêt maladie pendant ses congés payés ne pouvait pas exiger leur report.
Désormais, les choses sont claires :
« Le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec cette période d’arrêt. »
Mais ce n’est pas un simple revirement interne. C’est une mise en conformité explicite avec le droit de l’Union européenne, trop longtemps ignoré par la haute juridiction.
La Cour s’appuie sur l’article L. 3141-3 du Code du travail, qui garantit un droit à 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois de travail effectif. Mais ce texte est lu à la lumière de l’article 7§1 de la directive 2003/88/CE, qui encadre le temps de travail dans l’UE, ainsi que de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Parmi les arrêts les plus emblématiques :
CJUE, 20 janv. 2009, Schultz-Hoff, qui distingue clairement les finalités du congé payé (repos) et de l’arrêt maladie (guérison) ;
CJUE, 10 sept. 2009, Pereda, qui affirme le droit au report des congés si l’arrêt survient pendant la période de congé ;
CJUE, 21 juin 2012, ANGED, qui confirme cette exigence à l’échelle des États membres.
Ces arrêts sont clairs : les congés payés doivent être effectifs. Et si une maladie empêche ce repos, le salarié ne perd pas son droit. Une simple logique… mais qui aura mis plus de deux décennies à percoler dans le droit français.
La Cour de cassation reconnaît enfin ce que tout salarié sait intuitivement :
Se soigner, ce n’est pas se reposer.
Et un lit d’hôpital, ce n’est pas un transat sur la plage.
Le repos, tel que garanti par le droit du travail, doit permettre de se détendre, de se régénérer, de souffler. Ce droit au repos effectif est un pilier de la santé au travail. L’employeur ne peut donc pas se dédouaner en prétendant avoir “accordé” des congés si, dans les faits, le salarié était empêché d’en bénéficier.
La seule condition posée par la Cour : le salarié doit avoir notifié son arrêt maladie à l’employeur, ce qui est généralement déjà une obligation légale. C’est une mesure de bon sens, qui évite les abus sans priver le salarié de ses droits.


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