Un arrêt historique pour les aidants familiaux : l’employeur doit adapter le travail !
- SASD

- 25 sept.
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Imaginez devoir concilier un emploi avec des horaires par roulement et la nécessité impérieuse de vous occuper de votre enfant en situation de handicap grave, qui requiert des soins à heures fixes. C'est le combat quotidien de nombreux parents, et c'est précisément la situation qui a poussé une employée italienne, G.L., à se battre pour ses droits.
Face au refus de son employeur, AB SpA, de lui accorder un aménagement permanent de ses horaires pour s'occuper de son fils, G.L. a engagé une procédure judiciaire qui l'a menée jusqu'à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Elle ne le savait pas encore, mais son combat allait aboutir à une décision historique.
La décision rendue par la Cour dans cette affaire ne se contente pas d'ajuster la loi à la marge ; elle redéfinit les contours mêmes de la protection contre la discrimination au travail. Elle établit un principe audacieux : la protection liée au handicap n'est plus un droit individuel de la personne handicapée, mais s'étend à la cellule familiale qui la soutient.
Point Clé n°1 : La protection contre la discrimination s'étend à vous, même si vous n'êtes pas handicapé
Le saviez-vous ? Vous pouvez être victime de discrimination "par association". Cela signifie que vous subissez un traitement défavorable non pas à cause d'une de vos caractéristiques, mais en raison de votre lien étroit avec une personne protégée (ici, votre enfant handicapé).
Pour bien comprendre, il faut distinguer deux types de discrimination, définis par la directive européenne 2000/78 :
• La discrimination directe : une personne est traitée moins favorablement qu'une autre en raison d'un critère interdit (comme le handicap).
• La discrimination indirecte : une règle ou une pratique de l'entreprise, en apparence neutre, entraîne en réalité un désavantage particulier pour un groupe de personnes (par exemple, celles liées à une personne handicapée).
La Cour de justice avait déjà reconnu en 2008, dans un arrêt célèbre (Coleman), que la discrimination directe "par association" était interdite. Un employeur ne pouvait pas traiter moins bien un salarié parce que son enfant était handicapé.
La nouveauté majeure de cette nouvelle décision est que la Cour confirme que cette protection s'applique aussi à la discrimination indirecte "par association". Concrètement, cela signifie qu'une règle générale de l'entreprise, comme l'obligation pour tous les employés d'un service de travailler par roulement, peut être considérée comme discriminatoire si elle désavantage de manière disproportionnée un salarié qui doit s'occuper d'une personne handicapée et a besoin d'horaires stables. La Cour insiste sur la portée très large de cette interdiction.
Point Clé n°2 : L'employeur a une obligation d'"aménagement raisonnable" envers les proches aidants
Votre employeur doit envisager des "aménagements raisonnables" pour vous aider.
Reconnaître l'existence d'une discrimination indirecte par association serait une victoire vide de sens sans un remède concret. C'est pourquoi la Cour franchit une seconde étape décisive : elle étend l'obligation d'aménagement raisonnable aux proches aidants.
Le concept d'"aménagement raisonnable", prévu par l'article 5 de la directive 2000/78, était jusqu'ici principalement associé aux travailleurs handicapés eux-mêmes. Il s'agissait de l'obligation pour l'employeur d'adapter le poste de travail pour permettre à une personne handicapée d'exercer son emploi.
Point crucial de sa décision, la Cour étend explicitement cette obligation à l'employeur d'un travailleur qui, sans être lui-même handicapé, s'occupe de son enfant en situation de handicap. Cette avancée peut sembler contredire des décisions antérieures, mais la Cour prend soin de noter que son interprétation a évolué, notamment grâce à la force juridique acquise depuis l'arrêt Coleman de 2008 par la Charte des droits fondamentaux de l'UE et la Convention de l'ONU.
Ces aménagements peuvent prendre plusieurs formes, comme par exemple :
• Une réduction du temps de travail ;
• Une adaptation des horaires (comme le demandait G.L.) ;
• Une réaffectation à un autre poste de travail compatible.
Il existe toutefois une limite importante : cette obligation ne doit pas imposer une "charge disproportionnée" à l'employeur. En clair, on ne peut pas exiger d'une très petite entreprise qu'elle supporte les mêmes coûts d'aménagement qu'un groupe multinational. La justice examinera les coûts réels, la taille et la santé financière de l'entreprise pour déterminer si la demande est raisonnable.
Point Clé n°3 : Une décision fondée sur les droits de l'enfant et de la famille
Plus qu'une affaire de droit du travail : une question de droits humains.Pour justifier une telle extension des droits, la Cour ne s'est pas limitée à une analyse technique du droit du travail. Elle a ancré son raisonnement dans les textes les plus fondamentaux protégeant la dignité humaine, montrant que cette décision est avant tout une question de droits humains.
Les juges ont notamment cité :
• La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en particulier les articles sur les droits de l'enfant (article 24) et les droits des personnes handicapées (article 26).
• La Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées, qui fait partie intégrante du droit de l'Union.
La Cour a mis en exergue un passage clé du préambule de cette Convention de l'ONU, qui souligne que pour garantir les droits des personnes handicapées, il est essentiel de soutenir leurs familles.
Conclusion : Un tournant pour les aidants, mais la vigilance reste de mise
Cette décision de la Cour de justice de l'Union européenne marque un renforcement significatif des droits des salariés-aidants dans toute l'Europe. Elle reconnaît que la protection contre la discrimination fondée sur le handicap ne peut être efficace si elle s'arrête à la personne handicapée elle-même, et doit nécessairement inclure ceux qui lui fournissent une aide essentielle au quotidien.
Pour toutes celles et tous ceux qui, comme G.L., se battent pour trouver un meilleur équilibre entre leurs obligations professionnelles et leurs responsabilités familiales impérieuses, cette décision offre un nouvel outil juridique puissant.
Cette décision de la CJUE arme les aidants d'un bouclier juridique plus solide. Mais le véritable test sera sa mise en œuvre : les entreprises intégreront-elles proactivement cette nouvelle obligation d'aménagement, ou chaque aidant devra-t-il encore mener son propre combat judiciaire pour faire valoir un droit désormais clairement établi ?


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