
Un arrêt du 11 juin 2025 de la chambre sociale de la Cour de cassation (pourvoi n° 23-23.291) marque une victoire précieuse pour tous les salarié·es soucieux de leur sécurité. En cassant une décision de la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation rappelle que le droit de retrait peut être anticipé si un salarié a un motif raisonnable de penser qu’un danger grave et imminent existera au moment de sa reprise du travail, même si ce danger n’est pas encore effectif au moment de l’alerte. C’est une brèche ouverte contre les employeurs qui tentent de sanctionner ce droit fondamental. On vous explique...
Les faits
Un salarié est ingénieur commercial au sein d'une société depuis 2012. Placé en arrêt maladie du 14 février au 28 novembre 2018, il reprend son poste fin novembre. Mais très rapidement, il informe son employeur, le 21 décembre 2018 qu’il exercera son droit de retrait à compter du 2 janvier 2019, jour prévu de sa reprise après ses jours de RTT.
Motif : une modification des conditions de sa rémunération variable sans son accord, qu’il estime porter atteinte à sa santé psychique.
Le 5 février 2019, il est licencié pour faute grave. Il conteste ce licenciement devant le conseil de prud’hommes, demandant sa réintégration, le paiement de son salaire sur la période concernée et la reconnaissance du caractère nul de son licenciement.
Rappel de la procédure
Par un arrêt du 27 septembre 2023, la Cour d’appel de Paris considère que le droit de retrait est infondé, car le salarié a annoncé son retrait à effet différé (du 2 janvier) alors qu’il n’était pas encore en situation de danger au moment de son alerte (le 21 décembre). Elle valide donc le licenciement.
Le salarié se pourvoit en cassation, dénonçant une violation des articles L. 4131-1 et L. 4131-3 du Code du travail, qui autorisent un salarié à se retirer d’une situation de travail présentant un danger grave et imminent, dès lors qu’il a un motif raisonnable de le penser, sans devoir en faire la démonstration concrète.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle affirme que la Cour d’appel aurait dû vérifier si, au moment de l’alerte (le 21 décembre), le salarié pouvait raisonnablement penser que son poste de travail présenterait un danger à sa reprise (le 2 janvier).
Autrement dit : le caractère "imminent" du danger peut être anticipé si le salarié démontre qu’il avait des raisons objectives de craindre un danger futur et concret à très court terme.
Cette décision est essentielle dans un contexte où les troubles psychosociaux sont en explosion, et où l’organisation du travail – et notamment la rémunération – peut être un facteur de stress destructeur.
L'employeur avait fait le choix de sanctionner l’alerte, en niant qu’une modification du variable sans consentement puisse constituer un facteur de déséquilibre mental menaçant la santé du salarié. Et la Cour d’appel avait validé cette posture en s’accrochant à une lecture rigide et absurde du droit de retrait, comme s’il ne pouvait s’appliquer qu’en cas de machine en feu ou d’escalier effondré.
En réaffirmant qu’un danger prévisible mais non encore matérialisé peut justifier un retrait, la Cour de cassation :
Renforce l’interprétation subjective et protectrice du danger grave et imminent ;
Lutte contre les sanctions abusives qui visent à faire taire les salarié·es en souffrance ;
Réhabilite la santé mentale comme droit fondamental au travail.
C’est un coup d’arrêt pour toutes les directions qui tentent encore de criminaliser la prévention, en punissant celles et ceux qui osent s’alarmer avant qu’il ne soit trop tard.
À retenir pour les élus du personnel et les salarié·es :
Le droit de retrait peut être exercé par anticipation, si un motif raisonnable laisse présumer un danger à venir ;
Le danger n’est pas que physique : une modification brutale des conditions de travail peut faire craindre un trouble grave pour la santé psychologique ;
Un salarié ne peut pas être licencié ou sanctionné pour avoir fait usage de ce droit, dès lors qu’il est exercé de bonne foi ;
En cas de contestation, le juge doit vérifier le caractère raisonnable du motif, même si le danger ne s’est pas encore produit.

