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Les Actualités de SASD


Introduction : Qu'est-ce que l'indemnité de rupture conventionnelle ?


L'indemnité spécifique de rupture conventionnelle est la somme d'argent que vous percevez lorsque vous mettez fin à votre contrat de travail d'un commun accord avec votre employeur. Son montant est le fruit d'une négociation entre les deux parties. Cependant, cette négociation n'est pas totalement libre : la loi impose un montant minimum obligatoire pour protéger le salarié. C'est l'article L 1237-13 du Code du travail qui fixe cette règle fondamentale, en établissant un lien direct avec l'indemnité légale de licenciement. Pour bien comprendre votre droit, il est donc essentiel de maîtriser le calcul de ce plancher minimum.

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1. Le Principe Fondamental : L'Indemnité Légale de Licenciement comme Plancher Minimum

La règle de base, inscrite dans l'article L 1237-13 du Code du travail, est simple et claire : l'indemnité de rupture conventionnelle ne peut jamais être inférieure à l'indemnité que vous auriez touchée si vous aviez été licencié(e). C'est le socle de toute négociation.


Le montant de votre indemnité de rupture conventionnelle doit être, au minimum, égal à celui que vous auriez touché en cas de licenciement.


La formule de calcul de l’indemnité légale de licenciement (Code du travail, art. R1234-2) est la suivante :


🔹 Condition préalable :

  • Avoir au moins 8 mois d’ancienneté ininterrompue dans l’entreprise (CDI).

  • Ne pas avoir été licencié pour faute grave ou faute lourde.


📌 Formule de calcul

  • ¼ de mois de salaire brut par année d’ancienneté pour les 10 premières années.

  • ⅓ de mois de salaire brut par année d’ancienneté à partir de la 11ᵉ année.


📌 Salaire de référence

Le salaire brut de référence est le plus favorable entre :

  1. La moyenne mensuelle des 12 derniers mois précédant le licenciement (primes incluses),

  2. La moyenne mensuelle des 3 derniers mois (en y intégrant prorata les primes ou gratifications annuelles).


👉 Exemple rapide : Un salarié avec 12 ans d’ancienneté et un salaire de référence de 2 000 € brut/mois :

  • 10 premières années : 10 × ¼ × 2 000 = 5 000 €

  • 2 années suivantes : 2 × ⅓ × 2 000 = 1 333 €

  • ➡️ Indemnité légale = 6 333 €


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Il est crucial de comprendre que la référence est bien l'indemnité légale de licenciement de droit commun. Par exemple, la Cour de cassation a jugé (Cass. soc. 3-6-2015) que même les journalistes, qui bénéficient d'une indemnité légale de licenciement spécifique normalement plus élevée, doivent se baser sur l'indemnité légale de droit commun pour le calcul du minimum de la rupture conventionnelle. Cela signifie que le plancher de la rupture conventionnelle ignore les régimes légaux spécifiques plus favorables.


Ce plancher légal n'est cependant qu'une première étape, car votre convention collective peut prévoir des dispositions plus favorables.

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2. L'Impact de votre Convention Collective : Un Plancher Souvent Plus Élevé


Si votre convention collective prévoit une indemnité de licenciement d'un montant supérieur à l'indemnité légale, c'est ce montant, plus avantageux pour vous, qui devient le nouveau plancher minimum obligatoire pour votre indemnité de rupture conventionnelle.


Suite à un avenant du 18 mai 2009, cette obligation s'applique à la grande majorité des employeurs. Toutefois, il faut savoir que certains secteurs peuvent y échapper, notamment l'agriculture, les professions libérales, la presse ou encore le secteur associatif.

Le tableau ci-dessous synthétise les deux planchers possibles :

Situation du salarié

Montant minimum de l'indemnité

La convention collective ne prévoit rien ou un montant inférieur à l'indemnité légale.

L'indemnité légale de licenciement.

La convention collective prévoit une indemnité de licenciement supérieure à l'indemnité légale.

L'indemnité conventionnelle de licenciement.

Cas particulier : plusieurs indemnités dans votre convention collective.Si votre convention collective prévoit différentes indemnités (par exemple, une pour motif personnel et une autre, plus élevée, pour motif économique), l'administration (Inst. DGT 2009-25) demande de retenir l'indemnité conventionnelle la plus faible comme plancher minimum, à condition qu'elle reste supérieure au minimum légal.


Conseil d'expert : Attention, il s'agit d'une position administrative destinée à guider les services de l'État pour l'homologation de votre rupture. Comme le précise la source de cette instruction, « la position de l'administration ne préjuge en rien des décisions de tribunaux ». Cela signifie que vous conservez un argument solide pour négocier un montant basé sur l'indemnité la plus favorable, et qu'une contestation en justice sur ce point resterait possible.

Maintenant que les planchers minimums sont clairs, voyons comment s'effectue le calcul sur des bases concrètes.

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3. Le Calcul en Pratique : Salaire de Référence et Ancienneté


3.1. Déterminer votre salaire de référence

La base de calcul de votre indemnité est identique à celle utilisée pour l'indemnité légale de licenciement. Pour déterminer votre salaire de référence, il faut comparer deux méthodes et retenir la plus avantageuse pour vous (Circ. DGT 2009-5) :

• Soit la moyenne des 12 derniers salaires bruts mensuels précédant la date de signature de la convention.

• Soit la moyenne des 3 derniers salaires bruts mensuels précédant la date de signature de la convention.

Attention, si vous avez perçu des primes ou des sommes à caractère exceptionnel durant cette période, elles doivent être intégrées au calcul mais lissées au prorata pour ne pas fausser la moyenne.


3.2. Calculer votre ancienneté


La règle est cruciale : l'ancienneté à prendre en compte est celle que vous aurez acquise à la date prévue de la rupture effective de votre contrat, et non à la date de la signature de la convention (Cons. prud'h. Bobigny 6-4-2010). Il est également essentiel de souligner que les années incomplètes doivent être prises en compte dans le calcul de l'indemnité.


Point de vigilance : le décalage entre la signature et la rupture effective

Un délai s'écoule toujours entre la signature de la convention et la date de fin de votre contrat. Or, les calculs du salaire de référence et de l'ancienneté sont basés sur des chiffres arrêtés au moment de la signature, mais qui doivent être valides à la date de rupture. La circulaire administrative (Circ. DGT 2009-5) est très claire sur ce point : il vous revient, en tant que salarié, de vérifier que les salaires que vous percevrez entre la signature et la rupture effective ne modifient pas en votre défaveur la base de calcul de l'indemnité. Par exemple, une baisse de la partie variable de votre rémunération durant cette période pourrait rendre le calcul initial erroné. Soyez donc particulièrement attentif à ce point de contrôle.

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4. Les Cas Particuliers à Connaître


4.1. Vous avez moins d'un an d'ancienneté


La situation des salariés ayant moins d'un an d'ancienneté est complexe et a fait l'objet d'interprétations divergentes. Une cour d'appel a pu considérer qu'une indemnité nulle était possible (CA Montpellier 1-6-2011), une décision jugée « étonnante » car la loi prévoit bien une indemnité.


Face à cette incertitude, la pratique à retenir est celle recommandée par l'administration (Direction Générale du Travail). Selon elle, l'indemnité est bien due et doit être calculée au prorata du nombre de mois de présence(Circ. DGT 2009-5).


Exemple concret : Pour un salarié avec 7 mois d'ancienneté, le calcul est : (salaire brut mensuel moyen) x (1/4) x (7/12).


Il est à noter que l'administration peut aussi adopter une approche pragmatique : une convention a ainsi été homologuée car l'indemnité négociée était « nettement supérieure » à l'indemnité légale (qui aurait été de zéro), sans suivre un calcul au prorata strict (Cons. prud'h. Le Havre 30-10-2008).


4.2. Vous avez travaillé à temps plein et à temps partiel


Si votre carrière dans l'entreprise a alterné des périodes de travail à temps plein et à temps partiel, le calcul de l'indemnité doit en tenir compte. Il doit être effectué proportionnellement à ces différentes périodes, en suivant les mêmes règles que pour le calcul de l'indemnité légale de licenciement (Cons. prud'h. Valence 6-11-2008).


4.3. Que se passe-t-il si l'indemnité versée est inférieure au minimum ?


Si, après vérification, vous constatez que l'indemnité proposée ou versée est inférieure au minimum légal ou conventionnel, quelles sont les conséquences ? La Cour de cassation (Cass. soc. 8-7-2015) a clarifié plusieurs points :

La rupture n'est pas automatiquement annulée. Le simple fait que le montant soit insuffisant ne suffit pas à invalider la convention.

Vous pouvez réclamer un complément. Vous êtes en droit de saisir le juge pour obtenir le versement de la différence qui vous est due.

L'annulation pour ce seul motif est difficile. Pour faire annuler la convention sur cette base, il faudrait prouver que votre consentement a été vicié ou qu'il y a eu une fraude, ce qui est complexe à démontrer.


Point de vigilance : Cependant, l'annulation n'est pas impossible. Une cour d'appel (CA Toulouse 29-6-2012) a jugé qu'une convention prévoyant une indemnité inférieure au plancher n'aurait jamais dû être homologuée par l'administration. Elle a donc annulé la rupture et l'a requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui ouvre droit à des dommages et intérêts bien plus importants pour le salarié. Cette décision montre qu'une contestation peut aboutir, même si la voie principale reste la demande d'un complément d'indemnité.

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5. Synthèse : Les 3 Points Clés à Vérifier

Avant de signer une convention de rupture, il est impératif de vous assurer que vos droits sont respectés. En vous basant sur les éléments de ce guide, concentrez votre attention sur les trois points de contrôle suivants :

1. Vérifiez le plancher minimum : Votre indemnité ne peut jamais être inférieure à l'indemnité légale de licenciement. C'est le socle non négociable.

2. Consultez votre convention collective : Si elle prévoit une indemnité de licenciement plus élevée, c'est ce montant qui devient votre nouveau plancher minimum. Ne passez pas à côté de ce droit.

3. Contrôlez le calcul final : Assurez-vous que l'ancienneté est bien calculée jusqu'à la date de fin effective de votre contrat et que le salaire de référence retenu est le plus avantageux pour vous (moyenne sur les 3 ou les 12 derniers mois). Surtout, vérifiez que les salaires perçus après la signature ne viennent pas diminuer cette base de calcul.

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Dans un arrêt majeur rendu le 10 septembre 2025 (pourvoi n° 23-14.455), la Cour de cassation balaie d’un revers de robe une pratique injuste, pourtant largement tolérée en droit français jusqu’ici : exclure les jours de congés payés du calcul des heures supplémentaires. 


C’est une petite révolution — et une avancée précieuse pour des milliers de salariés en forfait hebdomadaire, souvent invisibilisés dans les décomptes de la durée du travail.


Cette décision est une nouvelle démonstration éclatante de l'effet direct du droit de l’Union européenne et de la primauté des droits fondamentaux des travailleurs, notamment leur droit au repos effectif et à une protection équitable contre les abus patronaux.


Les faits


Trois ingénieurs salariés de la société Altran Technologies étaient soumis à un forfait horaire hebdomadaire de 38h30, prévu par l’accord collectif Syntec. Contestant ce régime, ils ont saisi le Conseil de prud’hommes pour réclamer le paiement d’heures supplémentaires, en considérant qu’ils avaient régulièrement dépassé la durée hebdomadaire légale.


Le litige portait essentiellement sur le calcul des heures supplémentaires lorsque la semaine de travail avait été partiellement couverte par des congés payés.


Rappel de la procédure


La Cour d’appel de Versailles leur donne partiellement raison, mais suit l’argumentaire de l’employeur pour minorer les rappels de salaire, en excluant des calculs les semaines incomplètes en raison des congés.


Les salariés se pourvoient donc en cassation, soutenus dans leur combat par des principes fondamentaux du droit européen — et ils obtiennent gain de cause.


La décision de la Cour de cassation


La chambre sociale, siégeant en formation plénière, écarte partiellement l’application de l’article L. 3121-28 du Code du travail en raison de son incompatibilité avec le droit de l’Union, notamment :

  • L’article 7, §1 de la directive 2003/88/CE, et

  • L’article 31, §2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE,

qui garantissent à tout travailleur un droit effectif à des congés payés sans perte de droits, y compris en matière de rémunération variable (comme les heures supplémentaires).


Concrètement, les jours de congés payés doivent être assimilés à du temps de travail accompli dans le calcul du seuil déclencheur des heures supplémentaires, même en l’absence de disposition nationale explicite.


Cette décision marque un tournant jurisprudentiel historique, dans la lignée d’une série d’arrêts récents de la CJUE (notamment l’affaire DS c/ Koch, C-514/20). Elle rappelle une chose essentielle : les droits au repos et à une juste rémunération ne sont pas des variables d’ajustement budgétaire.


En excluant les congés payés du calcul des heures supplémentaires, certains employeurs profitaient de « semaines creuses » pour éviter de verser les majorations prévues par la loi. Cela revenait à pénaliser indirectement les salariés pour avoir exercé leur droit au repos, ce qui est totalement contraire à l’objectif de protection de la santé et de la sécurité au travail.


La Cour de cassation envoie ici un message limpide : le droit au congé ne peut entraîner un préjudice économique, même indirect. Et elle invite clairement les juridictions à inappliquer le droit national incompatible avec les droits fondamentaux européens, y compris en cas de litige entre deux personnes privées.


Dès maintenant, toute semaine comportant des jours de congés payés doit être considérée comme une semaine pleine pour déterminer si des heures supplémentaires ont été effectuées.


Ce point est fondamental lors de l'examen des bulletins de paie, des rappels d'heures, ou lors de contentieux relatifs aux conventions de forfait.


Les membres de CSE doivent s’emparer de cette décision pour demander des régularisations lorsqu’ils constatent des pratiques de minoration similaires chez leur employeur.


Dans un monde du travail de plus en plus fragmenté, où les droits sociaux sont parfois présentés comme des « coûts », cette décision est une bouffée d’oxygène. Elle rappelle que le progrès social commence par la reconnaissance pleine et entière du temps de repos — et que les droits des salarié·es n’ont pas vocation à s’effacer derrière la flexibilité économique.

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Une décision historique vient de tomber qui aligne enfin le droit français avec le droit européen… au profit des salariés.


C’est une décision que l’on attendait depuis longtemps. Depuis plus de vingt-cinq ans, la Cour de cassation fermait les yeux sur une injustice flagrante : lorsqu’un salarié tombait malade pendant ses congés payés, il en perdait le bénéfice, sans pouvoir reporter les jours non pris. L’argument était implacable dans sa froideur : dès lors que l’employeur avait autorisé les congés, l’obligation légale était réputée remplie, peu importe que le salarié ait effectivement pu se reposer ou non.


Cette position rigide, répétée depuis un arrêt de 1996, faisait fi de la jurisprudence européenne et de la finalité même du congé payé : permettre au travailleur de récupérer physiquement et mentalement, de profiter de moments de détente, et non de passer ses vacances alité avec de la fièvre et une boîte de Doliprane pour toute distraction.


Mais le 10 septembre 2025, la Cour de cassation a enfin franchi le Rubicon. Dans un arrêt solennel et très attendu (Cass. Soc., 10 sept. 2025, n° 23-22.732), elle revient sur sa propre position et s’aligne avec force sur le droit de l’Union européenne, affirmant que :


« Le salarié en arrêt de travail pour maladie survenu durant ses congés payés a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé coïncidant avec la période d'arrêt. »


Autrement dit : être malade, ce n’est pas se reposer. Et priver un salarié de ses congés au motif qu’ils étaient “techniquement posés” alors qu’il était cloué au lit relève d’une fiction juridique aussi toxique qu’injuste.


En reconnaissant ce droit au report des congés, la Cour consacre un principe fondamental : le droit au repos effectif. Un droit qui ne peut être vidé de sa substance par l’arbitraire d’un calendrier ou par la mauvaise foi d’un employeur.


Il aura fallu plus de deux décennies de résistance, d’interprétations abusives et de violations ouvertes du droit européen pour qu’enfin, le droit français cesse d’être un angle mort de la protection des salariés.


Cette décision est bien plus qu’un revirement jurisprudentiel. C’est une victoire symbolique, un jalon essentiel dans le combat pour un droit du travail réellement protecteur, au service de la dignité, de la santé et de la justice sociale.


Le SASD vous décortique cette décision...


Les faits


Notre protagoniste du jour n’est pas une salariée ordinaire : elle exerce comme médecin du travail depuis 1990 au sein d'une association de Santé au Travail. Fidèle à son poste pendant plus de 25 ans, elle travaille à temps partiel — les mardis toute la journée, les jeudis le matin — selon un avenant conclu en 2002. Celui-ci prévoit, entre autres, que les vacations effectuées en dehors de son planning sont récupérées pendant les congés scolaires, parfois au-delà de ses droits à congés payés.


En décembre 2016, elle fait valoir ses droits à la retraite et quitte ses fonctions. Quelques mois plus tard, le 9 mai 2017, elle saisit la juridiction prud’homale. Son objectif : faire valoir des droits liés à l’exécution de son contrat de travail, notamment sur le paiement d’heures complémentaires et sur les conditions de décompte de ses congés.


Mais au lieu de répondre sur le fond à ces demandes, l’employeur riposte avec une stratégie radicale : il contre-attaque en demandant que la salariée lui restitue la somme faramineuse de 39.427,70 €, estimant qu’elle aurait indûment perçu des indemnités de congés payés sur plusieurs années. L’association affirme qu’elle aurait bénéficié de plusieurs dizaines de jours de congés au-delà de son droit, notamment entre 2013 et 2016.


Sauf que le décompte de l’employeur pose problème.


De nombreux jours retirés du solde de congés de la salariée coïncident avec des périodes où elle était en arrêt maladie, arrêts dûment notifiés à l’employeur. Malgré cela, ces jours ont été comptabilisés comme si elle avait effectivement pu profiter de ses vacances. Un amalgame que la salariée conteste, à juste titre.


Cette affaire cristallise deux enjeux majeurs du droit du travail :

  • Le respect des droits à congés réels et effectifs, et non fictifs ou symboliques.

  • La transparence dans le décompte des droits en cas de temps partiel, de récupération et de congés divers (RTT, CET, congés d’ancienneté…).


Mais surtout, elle sert de terrain d’épreuve à une vieille jurisprudence obsolète, incapable de faire la distinction entre présence physique et repos effectif, entre droits formels et réalité vécue.


La suite ? Un affrontement judiciaire sur fond de normes européennes… et un revirement majeur de la Cour de cassation.


Rappel de la procédure


Saisie du litige, la Cour d’appel de Paris rend sa décision le 15 mars 2023. Elle suit en partie l’argumentaire de l’employeur : la salariée aurait bien bénéficié de plus de congés que son solde autorisé, ce qui justifierait une restitution d’une partie des sommes perçues.


Elle valide donc l’idée d’un trop-perçu, mais avec une nuance cruciale : les magistrats de la cour d’appel déduisent du calcul les jours de congé qui coïncidaient avec des arrêts maladie dûment notifiés. Autrement dit, ces jours n’auraient jamais dû être décomptés comme des congés, puisqu’ils n’ont pas permis à la salariée de se reposer.


Une lecture qui, sans le dire, reconnaît déjà partiellement l’influence du droit européen, qui impose depuis des années le report des congés en cas d’arrêt maladie.


Mais l’employeur, lui, refuse cette évolution du droit. Il forme un pourvoi en cassation et persiste : selon lui, dès lors que les congés avaient été validés par anticipation, ils devaient être considérés comme “consommés”, point final – même si la salariée était clouée au lit ou en incapacité totale de profiter de ce repos.


Ce raisonnement, froidement comptable, relève d’une logique purement administrative, totalement déconnectée de la réalité humaine du travail. Il revient à dire : “Peu importe que tu sois malade, tu as posé ton congé, il est perdu.”


C’est précisément ce cynisme juridique que la chambre sociale de la Cour de cassation va être amenée à trancher. Et ce qu’elle va faire, c’est tout simplement renverser la table.


La décision de la Cour de cassation


Le 10 septembre 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation opère un revirement jurisprudentiel majeur. Après près de 30 ans de résistance, elle enterre enfin sa jurisprudence obsolète du 4 décembre 1996 (n° 93-44.907), selon laquelle un salarié en arrêt maladie pendant ses congés payés ne pouvait pas exiger leur report.


Désormais, les choses sont claires :


« Le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec cette période d’arrêt. »


Mais ce n’est pas un simple revirement interne. C’est une mise en conformité explicite avec le droit de l’Union européenne, trop longtemps ignoré par la haute juridiction.


La Cour s’appuie sur l’article L. 3141-3 du Code du travail, qui garantit un droit à 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois de travail effectif. Mais ce texte est lu à la lumière de l’article 7§1 de la directive 2003/88/CE, qui encadre le temps de travail dans l’UE, ainsi que de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).


Parmi les arrêts les plus emblématiques :

  • CJUE, 20 janv. 2009, Schultz-Hoff, qui distingue clairement les finalités du congé payé (repos) et de l’arrêt maladie (guérison) ;

  • CJUE, 10 sept. 2009, Pereda, qui affirme le droit au report des congés si l’arrêt survient pendant la période de congé ;

  • CJUE, 21 juin 2012, ANGED, qui confirme cette exigence à l’échelle des États membres.


Ces arrêts sont clairs : les congés payés doivent être effectifs. Et si une maladie empêche ce repos, le salarié ne perd pas son droit. Une simple logique… mais qui aura mis plus de deux décennies à percoler dans le droit français.


La Cour de cassation reconnaît enfin ce que tout salarié sait intuitivement :

  • Se soigner, ce n’est pas se reposer.

  • Et un lit d’hôpital, ce n’est pas un transat sur la plage.


Le repos, tel que garanti par le droit du travail, doit permettre de se détendre, de se régénérer, de souffler. Ce droit au repos effectif est un pilier de la santé au travail. L’employeur ne peut donc pas se dédouaner en prétendant avoir “accordé” des congés si, dans les faits, le salarié était empêché d’en bénéficier.


La seule condition posée par la Cour : le salarié doit avoir notifié son arrêt maladie à l’employeur, ce qui est généralement déjà une obligation légale. C’est une mesure de bon sens, qui évite les abus sans priver le salarié de ses droits.

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